L’Emsav n’est pas une création récente. Il n’est né ni avec le XXe siècle, ni même avec le XIXe. Il n’est que la manifestation moderne d’un phénomène séculaire dont on peut faire remonter la filiation jusqu’au XVIe siècle, date à laquelle la Bretagne passa du statut de nation indépendante à celui de province autonome au sein du Royaume de France.
Il s’inscrit dans la ligne des efforts des Bretons de toutes classes qui, depuis cette époque, ont lutté pour conserver à la Bretagne sa personnalité politique et juridique, ses libertés politiques, administratives et financières, ses caractères natio- naux, sa langue et sa culture.
1. POURQUOI L’EMSAV MODERNE EST-IL NÉ ?
1.1 CAUSES LOINTAINES
1.1.1. La Bretagne n’a jamais accepté la suppression de son statut d’autonomie par la Révolution française : les Cahiers aux États Généraux en demandent formellement le maintien : les députés bretons à Versailles se déclarent sans mandat pour l’abandonner; le Parlement de Bretagne, gardien de la Constitution bretonne, proteste solennellement contre sa suppression; la Chouannerie est un soulèvement national qui tend à le rétablir.
1.1.2. La 1ère République reprend, en l’aggravant, la politique de centralisation monarchique. Les Républicains bretons sont tous « fédéralistes » (Girondins). Ils se révoltent contre la dictature de Paris et seront écrasés par elle. L’Empire asseoit définitivement la centralisation politique, administrative et intellectuelle entreprise par la République jacobine. Cette politique doit conduire au « nivellement » de la France : à la construction de « La Nation » française, « une et indivisible », sur les ruines des nations restées diverses qui subsistaient sous l’ancienne France; à l’avènement d’une « Patrie » unique et abstraite par la destruction des patries concrètes; à la « fabrication » d’un « type » de citoyen français uniforme et interchangeable.
1.2 CAUSES PLUS IMMEDIATES
1.2.1. Causes économiques
Par comparaison avec les autres pays d’Europe, la décadence économique et le retard social de la Bretagne, qui ont déjà commencé à la suite de la perte de l’indépendance, vont s’aggraver au XIXe siècle à la suite de la perte du statut d’autonomie.
1.2.2. Causes politiques
Aucun des gouvernements et régimes français qui se succèdent au pouvoir au XIXe siècle ne se montre disposé à desserrer l’étau de la centralisation politique et administrative, ni à reconnaître la personnalité de la Bretagne.
1.2.3. Causes culturelles
Tous ces gouvernements, à mesure que le système d’enseignement se développe et se généralise, vont systématiquement exclure des programmes tout ce qui peut toucher à la langue, à la culture et à l’histoire de la Bretagne. Cette politique s’aggrave au cours du siècle. Le but avoué de l’État central est d’aboutir à la disparition de la langue bretonne et « d’assimiler » complètement la population bretonne. La Bretagne doit être « intégrée ».
1.3. L’EMSAV EST DONC LE CHOC DE DEUX CONCEPTIONS DIAMETRALEMENT OPPOSÉES
Celle de la Bretagne qui veut conserver sa langue, sauver sa personnalité, rester distincte » pour rester elle-même : celle de l’État français qui juge nécessaire, pour réaliser une France « une et indivisible », d’assimiler et d’intégrer complètement les Bretons pour en faire des Français comme les autres, administrés et éduqués comme les autres, selon des lois et des principes uniformes élaborés à Paris. Cette politique implique la disparition de la personnalité de la Bretagne, son morcellement en cinq départements, la suprématie totale du gouvernement central, l’extinction de la langue bretonne : aux Bretons qui défendent leur statut d’autonomie, Mirabeau répond: « Vous êtes Bretons ? Les Français com- mandent » (1790); aux fédéralistes bretons qui défendent les libertés locales contre la République jacobine, Danton répond : « La Révolution c’est Paris! » (1793); aux Bretons attachés à leur langue, les préfets du Finistère et des Côtes-du-Nord répondent en 1831 : « Il faut absolument détruire le langage breton » ; le ministre de l’Instruction publique en 1911: « Enseigner le breton serait favoriser les tendances séparatistes en Bretagne ».
2. LES MANIFESTATIONS DU MOUVEMENT BRETON DE 1800 A 1890
2.1. DEFENSE DE LA CULTURE.
2.1.1. La protestation et la défense contre le « nivellement » se manifestent surtout dans le domaine culturel. Le romantisme aidant (Brizeux, Souvestre), on assiste à un réveil poètico-historico-littéraire de la Bretagne.
En 1805, Le Gonidec. Cambry et Le Brigant fondent l’Académie Celtique. Le Gonidec rénove et épure la langue bretonne et en fixe la grammaire. Son grand dictionnaire breton-français paraît en 1821. Troude le complète en 1842. En 1838, H. de la Villemarqué publie le Barzaz-Breiz, dont l’influence sur le mouvement de renaissance nationale est considérable. En 1838 a également lieu le premier Congrès interceltique du Pays de Galles.
En 1843 se fonde l’Association Bretonne, qui existe encore de nos jours. Son but est à la fois économique (améliorer les méthodes agricoles et le sort des campagnes bretonnes) et historique (étudier le passé breton). En 1844, Pitre Chevalier publie son Histoire de Bretagne. En 1855, de la Villemarqué. Luzel et Le Scour créent l’Académie Bardique. Ils organisent le deuxième Congrès interceltique à Saint-Brieuc, en 1867. En 1870, les celtisants C. de Gaulle, H. Gaidoz et Charencey présentent au Corps Législatif la première requête en faveur de l’enseignement des langues régionales.
2.1.2. Mais ces efforts vont se heurter à la méfiance de tous les gouvernements francais successifs : en 1854, l’Association Bretonne, dont le gouvernement n’apprécie pas les efforts pour faire revivre le passé breton, est suspendue pour un an par le gouvernement impérial. En 1859, elle est définitivement suspendue.
Aucune suite n’est donnée à la Pétition en faveur des langues régionales de 1870.
Les réformes successives qui organisent l’enseignement et le rendent obligatoire prennent soin de préciser que l’enseignement doit être uniformément donné en français. L’étude de l’Histoire de Bretagne et de la langue bretonne reste écartée des programmes d’enseignement et des examens.
2.1.3. Les historiens, poètes et celtisants entretiennent, au cours du XIXe siècle, le sens de la personnalité bretonne : malgré l’indifférence, sinon la méfiance, des pouvoirs pu- blics, les historiens (A. de Courson, P. Levot, A. de Carné, H. de la Borderie, A. Dupuy, R. de Kerviler, F. Duine, etc…), les poètes et écrivains (La Villemarqué, N. Quellien, Sebillot, P. Proux, A. Le Bras, F. Luzel, Le Joubioux, etc…), les celtisants (J. Loth, E. Ernault. G. Dottin, F. Vallée, etc…) n’en continuent pas moins, au cours du siècle, à faire connaître le passé de la Bretagne, à enrichir et cul- tiver sa langue.
La plupart de ces écrivains collaborent à des revues dont les principales sont : La Revue de Bretagne (créée en 1857), Feiz ha Breiz (créée en 1865), La Revue Celtique (fondée en 1870). La Revue Historique de l’Ouest (créée en 1884), les Annales de Bretagne (fondée en 1897).
La vogue mondiale des Études Celtiques amène le gouvernement à fonder des chaires de celtique dans l’enseignement supérieur à Paris, à l’École Pratique des Hautes Etudes en 1876, au Collège de France en 1882, et à l’Université de Rennes en 1893. En 1890, une chaire d’Histoire de Bretagne est créée à la Faculté des Lettres de Rennes.
2.2. DEFENSE DE L’ENTITE BRETAGNE
Dans le domaine politique et administratif également, certains faits montrent que le sens de la personnalité bretonne subsiste parmi les Bretons. L’État central ne manque pas de manifester sa méfiance à l’égard de toutes les manifestations de cette tendance.
L’exécution de Georges Cadoudal, en 1804, met fin à toute résistance armée et organisée de la Bretagne contre l’État central. Mais en 1815, le général Sol de Grisolles obtient des troupes alliées qui occupent la France que la Bretagne, en raison de sa résistance à la Révolution et à l’Empire, ne soit pas occupée.
Cela n’empêche pas le gouvernement de la Restauration d’éviter soigneusement de rendre à la Bretagne son statut d’autonomie. Bien plus, il s’empresse d’oublier les services rendus à la Monarchie par les anciens chefs Chouans et leur préfère, pour occuper les postes administratifs en Bretagne, d’anciens Conventionnels et Jacobins repentis.
En 1829 et 1830, à la suite des menaces de violation de la Charte par Charles X, les libéraux bretons, sous la direction de Beslay, député des Côtes-du-Nord, organisent une «Association Bretonne » pour le refus« d’acquitter des contributions publiques illégalement imposées ». Ils invoquent le Contrat d’Union de la Bretagne à la France de 1532.
En 1870, une armée de Bretagne, levée dans les cinq départements bretons, s’organise pour défendre le sol breton menacé d’invasion. Cette armée soulève la méfiance du Gouvernement Provisoire de la République qui semble en craindre les tendances « réactionnaires » et « séparatistes ». Aussi la laisse-t-il massacrer sans armes sur les plateaux du Mans.
Gambetta avait auparavant télégraphié à Keratry, commandant l’armée de Bretagne : « Je vous conjure d’oublier que vous êtes Breton pour ne vous souvenir que de votre qualité de Français ».
En 1872, l’Association Bretonne, suspendue par l’Empire, reprend son activité.
Arthur de la Borderie
En 1890, A. de la Borderie, résumant les idées et les aspirations de l’élite bretonne qui l’entoure et qui l’a précédé, s’écrie, en ouvrant son cours d’Histoire de Bretagne à l’Université de Rennes : « La Bretagne est mieux qu’une province : elle est un peuple, une nation véritable et une société à part, parfaitement distincte dans ses origines, parfaitement originale dans ses éléments constitutifs. »
3. LE MOUVEMENT BRETON DE 1890 A 1914
3.1. NAISSANCE DU MOUVEMENT REGIONALISTE
Au cours de ce quart de siècle, un Mouvement breton organisé va se dégager des efforts dispersés antérieurs et effectuer la synthèse des aspirations politiques, administratives et culturelles.
À la suite d’un « Appel au Peuple Breton », l’Union Régionaliste Bretonne (U. R. B.) se fonde à Morlaix en 1898. Elle a l’ambition de grouper des personnalités de tous les partis pour la défense des droits de la Bretagne. Ses premiers dirigeants sont : A. Le Braz, Charles Le Goffic, Louis Tiercelin, F. Vallée, R. de l’Estourbeillon (qui allait bientôt l’incarner jusqu’à sa mort en 1946). F. Jaffrenou, Bourgault-Ducoudray…
L’U. R. B. demande formellement la décentralisation administrative et la constitution de la Bretagne en « région » distincte.
En 1901 se crée le « Gorsedd » breton, sur l’imitation du Gorsedd gallois. Son but est l’étude, la conservation et le développement des arts, de la langue et de la littérature bretonnes, et des traditions celtiques. Ses principaux ani- mateurs sont: Yann Fustec, Yves Berthou, Jaffrenou- Taldir. L. Le Berre, F. Vallée, E. Le Moal, Loeiz Herrieu, F. Even, A. Boscher…
À la politique anti-cléricale qu’il pratique au début du siècle, le gouvernement Combes ajoute une politique de persécution de la langue bretonne. Non content de la proscrire dans les écoles (l’usage du « symbole » s’y généralise), il veut en interdire l’emploi au catéchisme et dans les églises (1902-1905).
Les masses catholiques sont décidées à la résistance armée. Mais les chefs catholiques les font renoncer à la violence.
En réaction contre politique anti-cléricale et anti-bre- tonne du gouvernement, l’Association catholique bretonne, « Bleun-Brug », se fonde en 1905, animée par l’abbé J.-M. Perrot. Son but est la défense de la langue et de la religion, et sa devise Feiz ha Breiz. Les parlementaires bretons, qui s’étaient trouvés unis sans distinction de partis pour faire rapporter le décret Combes contre la langue bretonne en 1903, s’unissent à nouveau, en 1909 et 1910. pour demander, sans succès, au ministre de l’Instruction publique, l’enseignement du breton dans les écoles.
En 1911, une scission de l’U. R. B. aboutit à la création de la Fédération Régionaliste de Bretagne (F. R. B.). Ses principaux animateurs sont : Jean Choleau, Jos Parker, André Mellac, Y. Le Diberder, M. Duhamel, etc… Elle met l’accent sur les problèmes économiques bretons, en même temps que sur les problèmes administratifs et culturels.
3.2. APPARITION DU NATIONALISME POLITIQUE
L’U. R. B. comme F. R. B., Gorsedd comme Bleun-Brug, estiment en général nécessaire de voir la langue bretonne enseignée et la personnalité bretonne consacrée par la reconstitution de la Province ou Région de Bretagne, illégalement supprimée en 1789.
Elles unissent des personnes de toutes tendances pour la défense des droits de la Bretagne, mais elles ne mettent pas en cause la souveraineté de la France sur la Bretagne. Elles ne pratiquent qu’un nationalisme poético-littéraire et sentimental. En 1909 et en 1911, dans deux ouvrages, « La Question Bretonne » et « Vers une Bretagne organisée », M. de Lantivy-Tredion essaie de concrétiser les aspirations de l’Emsav et de dégager un programme précis d’organisation régionale. Ce dernier réside essentiellement en la reconstitution de la province de Bretagne, dotée de l’autonomie administrative et financière, et des États de Bretagne modernisés par l’organisation de la représentation professionnelle. L’Assemblée bretonne devra être composée de représentants des intérêts économiques, sociaux et spirituels de Bretagne. Les promoteurs de ce plan vont jusqu’à envisager la grève de l’impôt pour contraindre le gouvernement central à l’appliquer.
Camille Le Mercier d’Erm
En 1911 cependant se crée le « Parti Nationaliste Breton » (Journal « Breiz Dishual »). qui réunit, sous la direction de C. le Mercier d’Erm: Le Rumeur, A. Guillemot, L. Gueguen, L.-N. Le Roux, J. du Chauchix, P. Suliac, puis A. Boscher, J. Loyant, J. Le Bras, de la Guichardière.
Avec lui, le nationalisme politique fait son apparition. Le manifeste P. N. B. repousse la thèse régionaliste comme humiliante et réclame: « La séparation intégrale d’avec la France, l’indépendance politique de la Nation bretonne, la reconnaissance de la langue bretonne comme seule langue nationale ».
Toutes les tendances de l’Emsav s’unissent, en octobre 1911, pour protester contre l’inauguration. à Rennes, du monument de Jean Boucher symbolisant l’Union de la Bretagne à la France.
3.3. DEFENSE ET ILLUSTRATION DES VALEURS BRETONNES
Pendant toute cette période, le mouvement en faveur de la langue et de la culture bretonnes poursuit sa carrière : des celtisants éminents continuent l’œuvre de Le Gonidec pour l’enrichissement et le perfectionnement de la langue (J. Loth, E. Ernault, Meven Mordiern, F. Vallée, P. Le Roux). Ces celtisants sont groupés au sein de l’Académie Bretonne et du Comité de Préservation de la langue bretonne (section de l’Association Bretonne) créé en 1895. Leur action aboutit à l’Entente des Écrivains Bretons pour l’unification orthographique de trois des dialectes bretons : Kerne, Leon, Trégor (K.L.T.), en 1908. Des dictionnaires, grammaires, vocabulaires, méthodes d’enseignement du breton sont publiés tant en K.L.T. qu’en vannetais. L’œuvre la plus complète et la plus décisive dans ce domaine est accomplie par François Vallée. De nombreuses publications, où collaborent toutes les personnalités de l’Emsav, étudient, tant en breton qu’en français, les questions historiques, culturelles, économiques, propres à la Bretagne, et y défendent les idéaux de l’Emsav.
Citons Feiz ha Breiz (J.-M. Per- rot), Dihunamb (Loeiz Herrieu). Kroaz ar Vretoned (F. Vallée) Ar Vro et Ar Bobl (Taldir-Jaffrenou). Le Clocher Breton (A. Degoul), Le Pays Breton (A. Mellac), publi cations auxquelles il faut ajouter les revues historiques pré- cédemment citées.
Mention doit être faite également des nombreuses études de tout ordre, éparses dans les publications de l’Associa- tion Bretonne, de l’U. R. B., de la F. R. B., etc…, ainsi que de nombreux ouvrages historiques, dont le plus important est la monumentale Histoire de Bretagne de A. de la Borderie. Enfin, deux revues remarquables, d’inspiration nettement nationaliste, voient le jour en 1912: Brug, dirigée par le socialiste E. Masson: Brittia, par Y. Le Diberder.
Malheureusement, la mobilisation générale en 1914 suspend toute l’activité de l’Emsav et provoque la disparition définitive ou temporaire de la quasi-totalité de ses publications. En moins d’un quart de siècle (1890-1914) la combativité de l’Emsav s’est affirmée. Il s’est révélé capable de grouper et d’unir, dans le seul but de la défense de la Bretagne, de sa personnalité, de sa langue et de sa culture, des représentants de toutes les tendances politiques et religieuses et de toutes les classes sociales de Bretagne.
4. (1918-1939) LE MOUVEMENT BRETON DE TENDANCE POLITIQUE ENTRE LES DEUX GUERRES
4.1. LES EFFORTS DU REGIONALISME.
4.1.1. Initiatives du régionalisme
A l’issue de la guerre le mouvement régionaliste breton essaie d’obtenir du gouvernement central la reconnaissance de la personnalité de la Bretagne et les droits de sa langue.
La guerre avait coûté cher à la Bretagne. L’endurance et l’allant des troupes bretonnes les font utiliser par le commandement aux points les plus exposés : la Bretagne perd un tué sur quatorze habitants, le double de la moyenne française. L’Emsav déplore de nombreuses pertes dont celles de J.-P. Calloc’h, le plus grand des poètes de langue bretonne, et de l’instituteur Jos Le Bras, deux des meilleurs activistes bretons.
Les militants bretons mobilisés combattirent avec un courage qui força l’admiration, mais la censure ne put empêcher Taldir-Jaffrennou et François Vallée de défendre la cause de la révolte irlandaise de Pâques 1916 contre les Anglais, révolte dont l’inspiration et les chefs étaient traînés dans la boue par l’ensemble de la presse française. Le journal de François Vallée, « Kroaz ar Vretoned », dut à cette protestation d’être suspendu par les autorités. À la fin de la guerre, dite « du droit», menée officiellement en faveur du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, certains Bretons, faisant suite à l’ultime pensée de J.-P. Calloc’h, espéraient que la Bretagne pourrait bénéficier de ces principes et tirer ainsi les fruits d’une victoire qu’elle avait puissamment contribué à remporter.
Régis de l’Estourbeillon
Au début de 1919, R. de l’Estourbeillon, président de l’U. R. B., secondé par le commandant Jacob et appuyé par les signatures de huit cents personnalités bretonnes de premier plan, remet aux délégués à la Conférence de la Paix et aux membres de la Commission pour la S. D. N. une « Pétition pour le droit des langues et la liberté des Peuples ». Cette pétition demande pour la Bretagne la reconnaissance de ses libertés culturelles et administratives, « car la Bretagne forme véritablement dans la communauté française une nation et un peuple distincts ».
La question de la réforme administrative ayant été agitée au lendemain de la guerre au Parlement et au Gouvernement, dont les projets menaçaient de morceler la Bretagne, un vaste Congrès est organisé à Rennes par M. Bigot. directeur de « L’Hermine» (1920). Ce Congrès demande le respect absolu de l’intégrité de la Bretagne dans la création des Régions projetées. Ses résolutions sont appuyées par une vaste campagne qui réunit 300.000 signatures et 124 sociétés et associations bretonnes diverses.
Mais, dans ses demandes, l’Emsav verra une fois de plus ses espoirs déçus.
4.1.2. Insuccès de ces tentatives
Les projets de réforme administrative et de régionalisme agités après la guerre sont une fois de plus enterrés. La centralisation politique, administrative et intellectuelle continue de s’accroître, favorisée par l’apparition de nou- veaux progrès techniques. L’intervention croissante de l’Etat dans le domaine économique, social et fiscal la rend encore plus pesante et restreint les libertés collectives et individuelles. Les intérêts économiques de la Bretagne, différents de ceux du reste de la France, sont sacrifiés à ceux d’autres régions.
Le malaise s’accroît à partir de 1932. N’ayant pu obtenir la moindre satisfaction, le Mouvement régionaliste piétine. Du moins continue-t-il toujours sa propagande. Son programme reste toujours la constitution de la Bretagne en région distincte, dotée de libertés admi- nistratives, financières et culturelles. Les congrès annuels des grandes associations régionalistes: U. R. B. (R. de l’Estourbeillon), F.R.B. (Jean Choleau), Gorsedd (Taldir- Jaffrennou). Bleun-Brug (Abbé J.-M. Perrot), continuent à essayer de populariser les aspirations bretonnes, de dé- fendre la langue et la culture. Ses publications font de même: Feiz ha Breiz (J.-M. Perrot), Buhez Breiz (P. Mocaer). Breiz (Y. Le Moal – Dirnador), Le Réveil Bre- ton (Jean Choleau). L’Union Agricole (L. Le Berre), etc…
4.1.3. L’essai du Bleun-Brug
Il apparaissait que des nouvelles méthodes étaient nécessaires si on voulait sortir le Mouvement breton de sa stagnation.
Dès 1919, l’administration française avait entrepris, par l’intermédiaire de l’école, la « francisation » de l’Alsace- Lorraine recouvrée par la France en 1918. A la suite des tentatives du gouvernement du « Bloc des Gauches » en 1924 d’étendre l’application des lois laïques aux provinces recouvrées, un puissant mouvement de protestation religieuse imprime au Mouvement autonomiste alsacien une forte impulsion populaire. Ces événements sont suivis avec attention par l’Emsav, et surtout par les catholiques groupés dans le Bleun-Brug, dont les préoccupations, à la fois bretonnes et catholiques, sont semblables à celles des Alsaciens.
Sous l’influence d’Yves Le Moal (Dirnador) d’abord, et surtout de l’abbé Madec ensuite, ce dernier ancien militant du Sillon, orateur de grande classe et secrétaire général du B. B. de 1926 à 1928, le Bleun-Brug essaie de lancer un mouvement breton démocrate et chrétien à base populaire sur le modèle du mouvement alsacien. En 1925, le Bleun-Brug se transforme en une « Société d’Education Nationale Bretonne » dont le but est de « promouvoir l’idéal breton dans le triple domaine intellectuel, politique et économique… de contribuer à rendre à la Bretagne le plein exercice de sa foi traditionnelle ». Il est également précisé que des délégués des mouvements alsaciens et flamands, ainsi que des représentants de toutes les associations bretonnes, assistent au Congrès de Morlaix en été 1927, où l’on discute la coordination des efforts pour la conquête des libertés provinciales et de l’enseignement bilingue. A l’issue du Congrès une « Déclaration » est adoptée avec enthousiasme. Elle s’inspire de la doctrine fédéraliste et demande notamment un parlement et un pouvoir exécutif bretons, et un budget autonome pour la Bretagne. Pour promouvoir le programme adopté, l’abbé Madec dote le B. B. d’un journal de propagande en français : « La Patrie Bretonne ».
Les autorités ecclésiastiques de Quimper cependant condamnent cette tendance à la « politisation » du Bleun-Brug et imposent au B. B., fin 1927, de se cantonner strictement dans le seul domaine catholique et culturel. L’abbé Madec et les représentants du B. B. de Haute-Bretagne (D’ Regnault) sont amenés à démissionner. L’abbé Perrot, qui continuera à animer le Bleun-Brug et sa revue jusqu’à sa mort en 1943, saura du moins conserver à tous deux un caractère purement breton, s’attachant particulièrement à la défense de la langue. À ses côtés, la présidence « laïque » avait victorieusement mené contre les méthodes du Bleun-Brug entre les deux guerres fut successivement exercée par L. Dujardin, Yves Le Moal, J. Cornic, R. Delaporte.
En 1928, l’abbé Madec fonde « Adsao », pour reprendre – avec l’aide de laïques : P. Mocaer, A. Pellé, A. Bergot. E. Le Corre – le programme de démocratie chrétienne et bretonne qu’il avait voulu réaliser avec le Bleun-Brug. Le mouvement adhère à l’U. R. B. et se place sur le terrain régionaliste. Adsao publie une revue du même nom et organise des réunions publiques imposantes dans le Léon. Mais le nouveau mouvement sombrera du fait de l’incompréhension qu’il rencontre dans le Parti Démocrate Populaire traditionnel, ancêtre du M. R. P., et surtout du fait de la santé chancelante de son fondateur, qui meurt en 1936.
4.2. L’ACTION DU NATIONALISME BRETON
4.2.1. Les débuts du mouvement nationaliste
Une nouvelle génération cependant était entrée, à la fin de la guerre, dans le combat breton. Avant même la fin du conflit, H. Prado, M. Marchal et J. de Roincé fondent un nouveau mouvement qui ne va pas tarder à durcir sa position à mesure que se précise l’impuissance du régionalisme à conquérir, pour la Bretagne, le statut d’autonomie régionale, base de ses revendications. Marchal et Mordrel fondent, pour appuyer l’action du journal, l’« Unvaniez Yaouankiz Breiz» (Union de la jeunesse de Bretagne), groupement qui se déclare « nationaliste ». Ses dirigeants sont fortement influencés par l’exemple irlandais et celui des autres petits peuples qui ont réussi à la suite de la guerre à conquérir leur indépendance ou leurs libertés nationales.
4.2.2. Le Parti Autonomiste Breton
La montée de l’autonomisme alsacien, qui reprenait, contre les méthodes et le centralisme français, le combat qu’il avait victorieusement mené contre les méthodes et l’impérialisme allemand quelques années auparavant, influe sur l’évolution de « Breiz Atao » et de l’ U. Y. B., et renforce l’ardeur de ses militants. Au mois d’août 1927, époque où se tenait le Congrès du Bleun-Brug de Morlaix, I’U.Y.V. se transforme en « Strollad Emrenerien Vreiz ». ou Parti Autonomiste Breton (P. A. B.). Le nouveau parti, qui tient son premier Congrès à Rosporden le mois suivant, a pour animateurs principaux : F. Debauvais, O. Mordrel, Y. Bricler, M. Duhamel, M. Marchal. Convaincus que le problème breton n’était que l’application à la Bretagne du problème général des nationalités et minorités et qu’il ne pouvait s’isoler dans le temps et l’espace, les dirigeants autonomistes alsaciens, bretons, corses et flamands, se réunissent à Quimper, en septembre 1927. Ils fondent le Comité Central des Minorités Nationales de France, dont la doctrine est basée sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et sur le fédéralisme international.
Congressistes du P.A.B., Rosporden, 1927
La solidarité « interminoritaire » s’affirme par l’envoi d’un avocat breton, membre du P. A. B. (M Feillet), pour la défense des autonomistes alsaciens incarcérés et traduits en jugement à Colmar. Ce geste, qui affirme la solidarité du P. A. B. avec les organisations alsaciennes poursuivies, déclenche contre lui une série d’actions policières.
Le 2ème Congrès du P. A. B., qui se réunit à Châteaulin en août 1928, permet au nouveau mouvement d’affirmer sa politique interminoritaire et de préciser sa position doctrinale. À ce Congrès sont représentés les partis autonomistes ou nationalistes irlandais, gallois, alsacien, flamand et corse. Dans une « Déclaration » politique, le P. A. B. s’affirme « fédéraliste » et revendique pour la Bretagne « une autonomie politique et administrative » dont l’organe représentatif sera un Parlement Breton ». Il ajoute que « l’autonomie ne s’oppose nullement aux intérêts de l’Etat Français et que ce programme peut être réalisé dans le cadre de la France ». Dans son livre, qui est désormais devenu un classique pour tout militant breton, intitulé « La question bretonne dans son cadre européen », M. Duhamel précise la position politique du P. A. B., dont la doctrine fédéraliste l’amène à réclamer à la fois l’application du « fédéralisme interne » à l’usage français, et du « fédéralisme international » sur le plan européen.
Le P. A. B. fait un gros effort d’organisation sous l’énergique impulsion de F. Debauvais et draine peu éléments les plus actifs des organisations régionalistes. « Breiz Atao » devient bimensuel en 1928 et hebdomadaire en 1929, un peu avant le Congrès de Rennes de la même année. Un emprunt est lancé pour l’achat d’une imprimerie. Mais il en résulte de lourdes charges financières aggravées par les frais d’une campagne électorale en 1930 (candidats: G. Mazéas, R. Arot). Dans le même temps les tracasseries policières continuent et mettent de nombreux obstacles à la vente et à la diffusion du journal. La crise financière, qui contraint le journal à cesser de paraitre, se double d’une crise politique à la suite de la démission de M. Duhamel.
En 1930, il se retire du P. A. B. avec les éléments fédéralistes et « gauchissants > (M. Mar- chal. A. Gefflot, R. Creston, F. Eliès…) qui essaient, sans succès durable, de fonder un nouveau journal « La Bretagne Fédérale ». « Breiz Atao » devient une petite revue mensuelle. Mais les éléments les plus décidés qui l’entourent (O. Mordrel, F. Debauvais, Y. Bricler, M. Guieyesse, C. Lainé…) ne vont pas tarder à durcir leur position et à abandonner le fédéralisme pour le nationalisme intégral. Ils fondent le Parti National Breton (P. N. B.) en 1932.
4.2.3. Le Parti National Breton
Toutes les Associations bretonnes sans exception, des régionalistes les plus modérés aux nationalistes les plus avancés, protestent, en 1932, contre la tenue des fêtes qui doivent avoir lieu à Vannes, le 7 août 1932, sous la présidence d’Édouard Herriot, Président du Conseil, pour célébrer le quatrième centenaire de la réunion de la Bretagne à la France. À l’aube du 7 août, des inconnus, qui se font réclament de l’Association secrète « Gwenn ha Du », sauter à Rennes le monument symbolisant l’Union. Cet événement donne un coup de fouet à la propagande du P.N.B., qui en profite pour faire repartir avec succès Breiz Atao, bimensuel. Il a aussi une répercussion internationale et attire l’attention du monde entier sur les revendications du mouvement breton.
En novembre 1932, Gwenn ha Du récidive en coupant la voie ferrée à Ingrandes, limite de la Bretagne, retardant considérable- ment le train du président Herriot qui se rendait à Nantes inaugurer une plaque pour rappeler le quatrième centenaire de l’Union. Les nombreuses perquisitions et enquêtes poli- cières restent sans résultat. Le P.N.B. déclare n’avoir rien de commun avec Gwenn ha Du.
O. Mordrel, tant dans « Breiz Atao » que dans « Stur », revue fondée dans ce but, élabore la doctrine et la philosophie politique du mouvement nationaliste. Peu à peu le P.N.B., malgré la réticence de certains éléments catholiques dont les frères Delaporte, s’oriente vers le nationalisme intégral et le séparatisme, déclarant n’attendre plus rien de la France, incapable de se renouveler.
Olier Mordrel
La position du P.N.B. se durcit d’ailleurs à mesure que la répression contre lui se fait plus sévère. En 1938, le gouvernement Daladier prend un décret-loi spécial pour réprimer les menées autonomistes (le même qui servira en Algérie !). Des condamnations à la prison sont prononcées contre certains militants. En novembre 1938, O. Mordrel et F. Debauvais sont condamnés à un an de prison, le premier avec sursis. Gwenn ha Du répond en faisant sauter à Pontivy le monument de la Fédération. Alors que Debauvais sort de prison en juillet 1939, Breiz Atao est définitivement interdit. En août, la police saisit le yatch Gwalarn, arrête son propriétaire l’avocat Le Helloco et les militants bretons qui l’accompagnaient, sous l’accusation de transport d’armes et de diffusion de tracts contre la guerre qui vient. A la veille de la mobilisation générale, O. Mordrel et F. Debauvais disparaissent pour éviter d’être arrêtés et essayer, à l’occasion du conflit, de jouer la carte bretonne sur le plan international.
4.3 AUTRES TENTATIVES DE REGROUPEMENT
4.3.1. Sur le plan « interne »
Par l’action qu’il avait menée au cours des années précédant la guerre, le P.N.B. avait pris une position de pointe par rapport à l’ensemble de l’Emsav. Beaucoup de militants cependant sentaient la nécessité d’unir toutes les forces bretonnes autour d’un programme minimum et modéré. A la veille des élections de 1936, un « Comité de Front Breton se crée pour demander aux candidats de former à la Chambre, sans distinction de partis, un Groupe de Députés Bretons, dont la tâche serait de défendre plus efficacement les intérêts bretons, de réclamer la création d’une Région Bretonne et l’enseignement de la langue bretonne à tous les degrés de l’enseignement. 41 candidats, dont 15 sont élus, approuvent ce programme. Un Comité de Défense des Producteurs Bretons, préfiguration du C. E. L. I. B., comprenant des députés bretons de tous partis, se crée au Parlement. Pour appuyer ces efforts et veiller à ce qu’ils soient soutenus, toutes les Associations bretonnes sans exception, depuis la Fédération des Sociétés Bretonnes de Paris jusqu’au P.N.B., en passant par l’Académie Bretonne, l’U.R.B. et le Bleun-Brug, déléguent un des leurs pour les représenter à Paris à un Comité extra-parlementaire de Front Breton (secrétaire Y. Fouéré).
4.3.2. Sur le plan international
Beaucoup de militants pensaient aussi que le développement du droit et des institutions internationales, en abaissant progressivement les frontières et en limitant la souveraineté absolue des grands États européeens, devaient bénéficier à la Bretagne. A leurs efforts vont se joindre des militants de toutes les Associations bretonnes. « La Bretagne, avait dit le Professeur Le Fur, éminent spécialiste de droit international, au Congrès du Bleun-Brug de Plougastel, en 1936, possède toutes les caractéristiques d’une minorité nationale. » Comme telle ses droits à un traitement particulier et à une législation particulière devraient être reconnus et garantis par l’État dont elle fait partie.
S’efforçant à la fois de poursuivre l’œuvre du Comité des Minorités Nationales de France de 1927 et d’étendre plus largement ce combat à toutes les minorités nationales et culturelles d’Europe Occidentale non « reconnues » internationalement, la revue « Peuples et Frontières », successivement dirigée par Y. Delaporte et Yann Fouéré, se crée en 1936. Des représentants de toutes les minorités d’Europe Occidentales des Iles Féroé et de l’Écosse à la Catalogne, en passant par le Pays de Galles, la Frise, la Flandre, l’Alsace, la Bretagne, le Pays Basque, la Provence et de la Corse y collaborent régulièrement. La défense par la guerre du mythe de « l’Une et Indivisible », menacé qui vient, incite toutefois le gouvernement français à interdire « Peuples et Frontières » en juillet 1939.
Yann Fouéré
La répression policière d’une part, la mobilisation de l’autre. mettent fin à l’activité apparente de l’Emsav, en septembre 1939. Pendant les vingt années qui séparent les deux guerres, l’Emsav de tendance « politique » s’est élargi et diversifié. Il comprend désormais des modérés (régionalistes et fédéralistes) et des avancés (nationalistes). Ses militants posent à présent la question bretonne en termes européens, sinon mondiaux. Pour bon nombre d’entre eux le problème breton a cessé d’être un simple problème intérieur français. Les élites du monde entier savent désormais qu’il existe une question bretonne.
5. LE MOUVEMENT CULTUREL ENTRE LES DEUX GUERRES
L’action du mouvement culturel entre les deux guerres va se concentrer autour de la défense de la langue bretonne et la revendication de son enseignement dans les écoles. Dans ce domaine, comme dans le domaine politique et administratif. les conceptions unitaires et « assimilatrices » de l’État et de l’administration française vont s’opposer à celles des Bretons qui réclament pour leur langue et leur culture les droits élémentaires reconnus à tous les peuples civilisés.
5.1 PREMIERES DÉMARCHES ET PREMIERS ÉCHECS
5.1.1. Sans se décourager par la fin de non recevoir qui avait accueilli la « Pétition pour le droit des langues et la liberté des Peuples », présentée par R. de l’Estourbeillon à la Conférence de la Paix, personnalités bretonnes et militants bretons recommencent leurs démarches en faveur de l’enseignement du breton dans les écoles.
En 1919, Bouilloux-Lafont, député du Finistère, rassemble et présente au Ministre de l’Instruction Publique une pétition signée par les élèves des Lycées de Quimper. Les cinq conseils généraux de Bretagne adoptent, en 1933, un vœu présenté par la F. R. B. et la Confédération des Sociétés d’Action Bretonne demandant l’introduction du breton dans l’enseignement.
Les députés Inizan en 1921, Balanant en 1922, Tremintin en 1924, demandent, à la Tribune de la Chambre, qu’il soit fait droit aux demandes de la Bretagne de voir sa langue enseignée.
Le Congrès Interceltique de Quimper, en 1924, organisé par R. de l’Estourbeillon et P. Mocaer, avec le concours de I’U. R. B., de l’Association Bretonne, du Gorsedd, de la Chambre de Commerce et la Municipalité de Quimper, est l’occasion pour l’opinion bretonne de renouveler ces demandes en évoquant par comparaison le sort des autres langues celtiques – gaélique et gallois – enseignées dans toutes les écoles primaires et secondaires des pays où elles sont parlées.
5.1.2. Face à ces demandes bretonnes, l’attitude hostile et anti-libérale du gouvernement et de l’administration française se confirme: A. Rio et Yves Le Trocquer, ministres bretons du gouvernement Poincaré entre 1920 et 1924, se font rappeler à l’ordre par le Président du Conseil pour avoir utilisé le breton dans certains de leurs discours officiels en Bretagne.
Le 20 décembre 1924, François Albert, Ministre de l’Instruction Publique, précise dans une circulaire que l’usage des « idiomes locaux » est à prescrire dans les écoles, même pour faciliter l’enseignement du français.
A. de Monzie, successeur de François Albert, renouvelle, dans une autre circulaire, l’interdit contre la langue bretonne dont l’usage doit être strictement proscrit dans l’enceinte des écoles. Inaugurant le Pavillon de la Bretagne à l’Exposition des Arts Décoratifs en Juillet 1925, il y prononce la phrase célèbre qui résume l’attitude du gouvernement et de l’administration : « Pour l’unité linguistique de la France, la langue bretonne doit disparaître ».
Dès la fin de 1925, les Conseils Généraux du Finistère, des Côtes-du-Nord et du Morbihan protestent contre la circulaire de Monzie. En 1926, I’U. R. B. proteste auprès du Président Poincaré au moment des affaires alsaciennes. Cette même année, les députés Inizan et Trémintin renouvellent sans succès leurs protestations devant la Chambre.
5.2. LA DÉFENSE DU BASTION
Proscrite de l’école, combattue par l’administration, battue en brèche par le service militaire et l’envahissement de la presse et de la radio en français, la langue bretonne, si elle perdait lentement du terrain dans la population, ne voulait cependant pas disparaître. Des élites nouvelles se lèvent pour la défendre, en faire une langue évoluée et un instrument moderne de culture.
5.2.1. Une langue nationale
Les élites bretonnes démontrent que la langue bretonne n’est pas un quelconque « patois ». Les trois vaillantes publications qui ne cesseront de paraître pendant toute cette période l’hebdomadaire d’Yves Le Moal (Breiz) et la revue de l’abbé Perrot (Feiz ha Breiz). toutes deux publiées en K. L. T., la revue de Loeiz Herrieu (Dihunamb) publiée en vannetais s’efforcent de maintenir dans le peuple la lecture du breton populaire. D’autres publications, parmi lesquelles toutes celles de l’Emsav et de nombreux Bulletins paroissiaux, les imitent.
C’est en 1925, l’année de de Monzie, que paraît le premier numéro de Gwalarn, revue littéraire rédigée exclusivement en breton et animée par Roparz Hemon. Son ambition est de doter la Bretagne d’une langue littéraire capable d’exprimer toutes les nuances de la pensée et de la technique moderne. « Pour ce faire, dit son « premier et dernier Manifeste en français », fermant la porte aux patois, elle adoptera une langue de forme classique et une orthographe rigoureusement unifiée… Il s’agit de savoir s’il existe en Bretagne un public assez instruit du breton pour pouvoir comprendre la langue littéraire, aussi distante de la langue du paysan breton que la langue d’Anatole France l’est de celle du paysan français.
Gwalarn, qui paraîtra sans interruption jusqu’en 1939, poursuit ainsi l’œuvre de Le Gonidec. E. Ernault, F. Vallée, Meven Mordiern… et contribue à épurer et à enrichir la langue bretonne. Elle la dote d’une littérature d’expression moderne et d’ouvrages appartenant à toutes les disciplines intellectuelles, des mathématiques à la philosophie et à la poésie, en passant par des ouvrages littéraires et des traductions d’oeuvres classiques et étrangères.
5.2.2. Littérature et poésie
La grande majorité de la production littéraire bretonne entre les deux guerres, à part celle de F. Le Lay et de Tanguy Malmanche dont les œuvres principales sont publiées ou rédigées avant 1925, se rattachent de près ou de loin à l’école de Gwalarn. Des nouvelles, des romans et des contes (J. Riou, Y. Drezen, R. Hemon, Abeozen, K. Kongar, Y. Berthou…), des essais et souvenirs de voyage R. Hemon, F. Vallée…), des pièces de théâtre (T. Mal- manche, R. Hemon…), des recueils de poésie (X. de Langlais, F. Meaven, R. Hemon, L. Ar Floch…). des ouvrages historiques (M. Mordiern…). une géométrie (L. Kerjean), de nombreuses traductions du gallois, de l’irlan- dais et d’auteurs anciens et modernes sont publiés par Gwalarn ou sous son égide.
Loeiz Herrieu poursuit pour le dialecte vannetais une action littéraire de grand mérite. Autour de Dihunamb se grou- pent d’excellents écrivains : Y. Le Diberder, R. Le Masson, Le Bayon… Les émigrés bretons de la Région parisienne, d’autre part, créent, dans les années 30, une autre revue littéraire, SAV. proche du breton populaire, mais rédigée dans la langue et l’orthographe de Gwalarn.
En même temps que ce mouvement de renaissance litté- raire, un gros effort est fait pour multiplier l’édition d’ou- vrages de grammaire et de linguistique, de méthodes de breton, etc…, afin de faciliter l’étude et l’enseignement de la langue: grammaires, exercices, dictionnaires, lexiques breton-français et français-breton de R. Hemon; « Grand Dictionnaire français-breton » de François Vallée ; « Grammaire galloise » d’Abezoen, etc…
5.2.3. La propagande pour la langue
Persuadée de l’importance capitale de la diffusion du livre breton parmi les enfants, Gwalarn fait un effort particulier pour publier en un breton simple, mais correct et pur, des contes et récits à la portée des enfants d’âge scolaire. Une œuvre spéciale, celle de Brezoneg ar Vugale, est créée pour la diffusion dans les écoles de ces livres d’enfants. Le Brezoneg eeun ou « Breton simple », de Roparz Hemon, et la publication d’une grammaire élémentaire répondent à la même préoccupation.
Animé des mêmes soucis, le Bleun Brug dote sa revue, en 1933, d’un supplément pour enfants: Feiz ha Breiz ar Vugale, dirigé par les frères Caouissin. Les Congrès du Bleun Brug sont l’occasion de concours de récitation en breton par les enfants des écoles.
Des troupes de chanteurs et d’acteurs populaires, donnant des séances de chant, de déclamation et des représentations théâtrales en breton, des chorales paroissiales, fonctionnent sous l’égide de Dihunamb et du Bleun Brug. Les premiers cercles celtiques se créent ainsi que la K. A. V. (Confédé- ration des Sonneurs de Biniou).
Deux ans avant la seconde guerre mondiale, des efforts sont tentés sous l’égide d’ Ar Brezoneg er Skol pour réaliser l’unification orthographique totale entre le vannetais et le K. L. T., afin de créer une langue littéraire unique et faciliter ainsi un enseignement généralisé du breton dans toutes les écoles de Bretagne. Ces efforts échouent en raison de l’opposition de certains défenseurs du K. L. T., notamment de Meven Mordiern, R. Hemon et F. Vallée. Les tenants de l’unification orthographique n’en continuent pas moins leurs efforts qui aboutiront quelques années plus tard, en 1941.
5.3 LES DÉFENSEURS DU BRETON PRENNENT L’OFFENSIVE
Face à tous ces efforts, l’attitude obscurantiste du gouvernement français, qui persistait à proscrire la langue bretonne des programmes d’enseignement et des examens, devenait chaque jour plus anachronique et l’injustice de cette position plus criante. Entre 1930 et 1939 la lutte des Bretons va s’intensifier pour faire aboutir les revendications culturelles de la Bretagne et obtenir des résultats pratiques dans l’enseignement de la langue.
5.3.1 Ar Brezoneg er Skol» fait la preuve de la volonté populaire
Créée en 1934 par un groupe d’étudiants bretons (Yann Fouéré, R. Audic, J. Marzin, Y. Briand…). Ar Brezoneg er Skol, Union pour l’enseignement du breton, décide de reprendre une tentative isolée du Dr Le Cam auprès du Conseil Municipal de Guerlesquin, et d’organiser parmi tous les Conseils Municipaux de Bretagne une campagne de vœux en faveur de l’enseignement de la langue bretonne dans les écoles. Le vœu proposé aux Conseils Municipaux demande que la langue bretonne « soit enseignée officiellement en même temps que le français dans toutes les écoles publiques de Basse-Bretagne » et réclame « son entrée officielle dans l’enseignement secondaire à titre de seconde langue facultative valable pour l’obtention des titres et diplômes ».
Le succès de la campagne d’ Ar Brezoneg er Skol est immédiat. En trois ans et demi d’une campagne énergique et persistante, renouvelée deux fois par an auprès de tous les Conseils Municipaux, 346 communes, dont 300 appartenant à la Basse-Bretagne et représentant plus de la moitié de la population de cette dernière, avaient adopté le vœu présenté par Ar Brezoneg er Skol. Ce même vœu avait été adopté à l’unanimité par les trois Conseils Généraux de Basse-Bretagne, les Sociétés savantes de Bretagne, toutes les Sociétés d’action bretonne et de nombreuses associa- tions bretonnes de France et de l’étranger. Il était soutenu par les députés bretons de tous les partis, qui participaient côte à côte, sur la même tribune, auprès des défenseurs d’ Ar Brezoneg er Skol, aux réunions publiques organisées par cette dernière en faveur de l’enseignement du breton. Le Comité de Front Breton (Secrétaire Yann Fouéré), émanation de toutes les Sociétés bretonnes et qui avait fait siennes les revendications d’ Ar Brezoneg er Skol, demande, entre autres, dans le programme qu’il propose aux candidats aux élections de 1936, l’enseignement à tous les degrés de la langue bretonne et sa reconnaissance aux examens.
Au mois de juin 1937, une délégation du Comité de Front Breton demande au Ministre de l’Education Nationale à Paris, l’application immédiate des mesures pratiques suivantes : la levée de l’interdiction de l’emploi du breton dans les classes et à l’école ; la possibilité d’ouvrir des cours facultatifs de breton en dehors des heures de classe et pendant les loisirs dirigés ; enseignement obligatoire du breton dans les écoles normales primaires des trois départements bretonnants; reconnaissance du breton comme deuxième langue facultative au baccalauréat.
La même démarche est renouvelée en 1938 par les députés Desgranges et Le Bail et les dirigeants d’ Ar Brezoneg er Skol.
Le 30 juin 1937, impressionnée par l’ensemble des volontés qui se manifestait et par l’adhésion massive des Conseils Municipaux de Bretagne, la Commission de l’Enseignement de la Chambre des Députés adopte, à l’unanimité, le rapport du Chanoine Desgranges sur une Proposition de loi Trémintin et invite le gouvernement à « à mettre en application de manière progressive l’enseignement de la langue bretonne parallèlement à celui de la langue française dans les écoles primaires, les écoles primaires supérieures, les lycées et collèges du Finistère et de la région bretonnante des Côtes-du-Nord et du Morbihan, ainsi que dans les écoles normales primaires de ces trois départements ». Le nombre des Conseils Municipaux apportant leur adhésion aux revendications d’Ar Brezoneg er Skol ne cessera de s’accroître dans les années suivantes : il dépassera le cap des 500 à la fin de 1939.
5.3.2. Quelques résultats pratiques
Dans le domaine légal, malgré la volonté nettement exprimée des Bretons, le gouvernement français n’avait pratiquement fait aucune concession en 1939. La seule mesure concédée à l’opinion bretonne était l’autorisation d’ouvrir des cours facultatifs de breton et au cours des loisirs dirigés dans les écoles primaires en dehors des heures de classe, comme il avait été autorisé pour l’espéranto. Ar Brezoneg er Skol s’organise immédiatement pour tirer néanmoins parti de cette concession. Abel Omnès ouvre le premier cours de breton, en 1938, à l’école de Plougrescant. D’autres s’organisent grâce à l’aide et à l’action d’ Ar Falz. Ar Falz, Bulletin mensuel des Instituteurs laïques partisans de l’enseignement du breton, créé en 1933 par l’instituteur Yann Sohier, continué par J. Kerlann et A. Keravel après la mort de Sohier en 1935, s’était donné pour objectif de convaincre les milieux de l’école publique laïque traditionnellement hostiles à l’enseignement de la langue. D’une orientation sociale nettement située à gauche. Ar Falz revendique le breton comme langue usuelle de l’enseigne- ment dans les écoles de Basse-Bretagne. le français y restant langue auxiliaire. Ar Falz publie des textes scolai- res, des leçons d’histoire, de géographie, d’arithmétique… en breton et organise des concours de breton entre élèves des écoles publiques. Il apporte en même temps son con- cours à la propagande pour les droits de la langue et prépare l’édition de livres et manuels scolaires pour les écoles laïques.
Entraînée par l’évolution des idées, l’école libre décide d’entr’ouvrir officiellement la porte à la langue bretonne. Des instructions de 1930, renouvelées en 1935, de l’évêché de Quimper, imitées par les évêchés de Vannes et Saint- Brieuc, prescrivent dans les écoles de ces diocèses l’organisation de cours consacrés à l’enseignement de la langue, de l’histoire et de la géographie de la Bretagne. L’association Breuriez ar Brezoneg er Skoliou, créée en 1933 et dirigée par R. Delaporte, s’organise pour essayer de faire généraliser l’application de ces instructions, fournir aux maîtres et aux élèves les livres d’enseignement nécessaires, organiser entre les écoles libres des concours et examens de breton, dotés de prix, pour les maîtres et les élèves. De son côté, le Comité des Classiques bretons publie des livres d’enseignement du breton pour les écoles libres, dont la méthode « Le Français par le Breton » de l’abbé Le Bozec. Un effort est également fait durant cette période pour l’organisation de cours d’adultes par les cercles celtiques et associations culturelles. L’Association Ar Simbol, créée par Gwalarn, réserve le port d’un insigne spécial aux personnes ayant subi avec succès des épreuves écrites et orales de breton. Les premiers cours par correspondance s’organisent et vont accomplir un progrès décisif à la suite de la créa- tion, en 1933, de Ober, dirigée par Marc’harid Gourlaouenn et K. Kongar. Un travail similaire est fait dans le vannetais par la Brediah Brehoneg Biu.
La deuxième guerre mondiale n’arrêtera tous ces efforts que pendant quelques mois. Dès l’armistice, la propagande en faveur de la langue bretonne va reprendre. Grâce au désarroi du gouvernement français dont les conceptions traditionnelles avaient chancelé dans la défaite et, de plus, divisé par de profondes querelles intestines, grâce aussi aux efforts accrus des forces bretonnes et à leur regroupement, des résultats concrets seront cette fois obtenus dans le domaine légal au cours de la période 1940-1944.