[BREIZH] Le peuple breton est un peuple qui résiste depuis huit siècles à l’assimilation.
Cette résistance doit être comprise sous trois aspects :
- celui d’une persistance passive, sans intention consciente;
- celui d’une conservation intentionnelle, non cohérente, non ordonnée à une finalité politique;
- celui d’une révolution, c’est-à-dire d un remaniement complet de la société ordonnée à une finalité politique
1.La persistance passive
La persistance passive est à comprendre à travers la désarticulation dont a souffert très tôt la société bretonne. Du 8ème au 12ème siècle, le peuple breton constitua une société politique vigoureuse comportant des centres de civilisation qui rayonnaient sur toute l’Europe occidentale. Or, dès le 12ème siècle, les couches dirigeantes acceptent des liens de classe de plus en plus étroits avec les autres couches dirigeantes européennes et ne tardent pas à tomber dans la sphère d’influence de la noblesse française.
Par suite, un fossé se creuse rapidement entre elles et le peuple breton.
Il en résulte un certain nombre de conséquences graves :
- Deux civilisations cohabitent en Bretagne : la civilisation française, apanage de la minorité gouvernante, considérée de ce fait comme supérieure, la civilisation bretonne, apanage du peuple, considérée comme inférieure par un motif de classe;
- Ce qui, au début, n’est qu’un motif de classe, subjectif, s’objective peu à peu, s’inscrit dans les faits par un mécanisme simple : quiconque dans la classe populaire cherche à s’élever socialement doit par nécessité s’assimiler à la civilisation française. par suite, quiconque serait en mesure par sa valeur personnelle de concourir au développement de la civilisation bretonne, abandonne cette civilisation pour la civilisation française ;
- On assiste donc à une dégradation rapide de la civilisation bretonne : celle-ci, après avoir été subjectivement jugée inférieure, devient objectivement inférieure. Elle cesse, pour prendre les termes précis du breton moderne, d’être un sevenadur, c’est-à-dire un accomplissement voulu et conscient par un peuple soucieux de son destin, c’est-à-dire un ensemble de formes locales de vie laissées à leur pur déterminisme sociologique.
- La culture active étant française, on conçoit que la civilisation bretonne persiste uniquement dans les couches les plus éloignées des sphères actives du pays. En ceci, la désarticulation soxiale appauvrit considérablement la civilisation bretonne, mais en même temps lui laissa une chance : celle de persister, car dans le peuple coupé des classes dirigeantes la civilisation bretonne traversa plusieurs siècles d’hibernation sans mourir.
Bilan de la persistance passive
Au terme de ses siècles d’hibernation, la civilisation bretonne populaire se trouve dans l’impossibilité absolue de vivre par elle-même :
- la seule structure sociale persistante, maintenue par l’Eglise, l’organisation en paroisses, a régressé au point de prendre une forme tribale, puis de perdre toute fonction sociale ;
- toute société politique a depuis longtemps disparu, laissant le champ libre aux structures politiques françaises qui, reçues de l’extérieur et sans adhésion créatrice, agissent comme éléments dépolitisants, et instruments d’aliénation collective ;
- la production culturelle, privée des individus créateurs sans cesse ravis par la civilisation française, privée d’un cadre plitique qui lui soit homogène, réduite à prendre assise dans les micro-communautés locales, est pratiquement nulle en qualité comme en quantité ;
- la désarticulation de la société qui favorisa la perte de l’indépendance politique au 10ème siècle prépara, à plus long terme la voie au sous-développement économique. Celui-ci est le résultat de la mise en contact d’une économie de type traditionnel avec une économie industrielle développée. Les enclaves économiques modernes implantées par l’économie dominante attirent les éléments les plus dynamiques de la population qui adoptent les modèles culturels de la «métropole» ; la désarticulation de la société est alors le résultat de la désagrégation de l’économie traditionnelle. Or, contrairement à ce qui est survenu en Afrique et en Asie, la désarticulation de la société est antérieure en Bretagne à la Révolution Industrielle et l’économie bretonne est déjà assujettie à l’économie française ; les classe dirigeantes francisées sont tournées vers Paris et se révèlent incapables d’introduire un processus de développement.
2.La conservation intentionnelle
La conservation intentionnelle, non cohérente, non ordonnée à une finalité politique à comprendre comme une réaction inadaptée à la désarticulation sociale, culturelle, économique et politique du peuple breton
L’aliénation dans laquelle a glissé le peuple breton au cours des huit siècles passés n’a pas été sans susciter de nombreux sursauts. C’est par centaines qu’on peut citer à toutes les époques les tentatives de résistance à l’assimilation :
- dans le domaine politique l’opiniâtre résistance des hommes d’Etat bretons des 16ème, 17ème et 18ème siècles aux ingérences françaises ; les travaux des juristes et des historiens mus par un ardent patriotisme et visant à conserver la conscience nationale et les institutions bretonnes 5 ; le patriotisme dont le peuple a fait montre à toutes époques ;
- dans le domaine économique, la même opiniâtreté au travail ; cette volonté de rester en Bretagne et d’y défendre sa vie en dépit des conditions économiques mauvaises. Le puissant attachement des Bretons à leur pays, en freinant l’émigration, à sauvé la Bretagne d’une dissolution dans le « désert français » ;
- dans le domaine social et culturel, un mouvement important tendant à lutter contre la disparition de tout particularisme breton, structures sociologiques, coutumes, costumes, dialectes ; exemples : les Bonnets Rouges et la Chouannerie
défendant les structures traditionnelles et les anciennes franchises ; les sociétés visant à protéger les parlers locaux et à en introduire l’étude dans les écoles ; les folkloriques cherchant à témoigner d’une « culture populaire » bretonne du passé.
Constat d’échec des conservatismes
Mais ces tentatives de conservation, pour intentionnelles qu’elles soient, sont inadaptées aux conditions objectives qu’elles prétendent infléchir et cela pour plusieurs
L’action conservatiste bretonne n’a pas tenu compte des courants de force effectifs de chaque période historique. Aux 14ème, 15ème, 16ème siècles, alors qu’émergeaient les états nationaux en France, en Angleterre, en Espagne, permettant une réunification des sociétés, l’éclosion de cultures nationales, et la concentration de la puissance étatique, la noblesse bretonne reste étrangère à la révolution qui s’opère. Au contraire, la nouvelle puissance française exerce un ascendant encore plus fort sur elle, jouant dans le sens d’une plus grande désarticulation de la société bretonne : elle suit le courant français mais non l’exemple français*.
*Note : cette affirmation a été largement révisée par les historiens contemporains, notamment Jean Kerhervé dans son étude du sentiment national breton (Aux origines d’un sentiment national. Les chroniqueurs bretons de la fin du Moyen Âge) et de l’état breton (Idéologie et appareil d’État dans la Bretagne des Montfort: XIVe et XVe siècle). C’est l’annexion violente de la Bretagne par la France en 1492 qui met fin au processus de formation d’état-nation déjà avancé.
Le même phénomène de captation se manifeste au niveau de la bretonne aux 18ème, 19ème et 20ème siècles au moment de la Révolution Industrielle. Alors que les bourgeoisies nationales opéraient l’accumulation du capital qui allait permettre l’industrie de naitre sur leur sol, la bourgeoisie bretonne n’a pas le sens de la transformation qui se prépare et s’accomplit ailleurs. Et quand les industries naissantes font leurs appels de capitaux, elle s’empresse d’offrir les siens, dépouillant ainsi la Bretagne de ses capacités d’industrialisation et la dirigeant vers le sous-développement.
Si, au 19ème siècle, la Révolution Agricole a transformé l’économie traditionnelle bretonne, les progrès introduits ne se répercutent pas guère sur les autres secteurs. Ils renforcent surtout la fonction commerciale de la bourgeoisie qui crée peu d’industries locales et, encore une fois, préfère les investissements immobiliers et les emprunts d’Etat. Les innovations et les créations d’entreprises sont souvent le fait de capitalistes étrangers ou de l’Etat français.
Le même phénomène de captation se poursuit à notre époque dans les divers mouvements politiques, sociaux, économiques, culturels qui travaillent en Bretagne : ces mouvements, français, prétendent résoudre des problèmes français, et la Bretagne s’y trouve entraînée en dépit de l’incohérence de ses besoins réels et les objectifs des entreprises auxquelles elle prend part. L’exemple le plus frappant à cet égard fut la première Guerre Mondiale où les Bretons partirent avec la conviction d’aller défendre « le pays », et dont la conséquence fut, au delà de la « Victoire », de décimer, de provoquer l’effondrement de leur civilisation traditionnelle, de précipiter le déclin de leur économie.
La contradiction interne du conservatisme
Ce dernier exemple met en évidence la contradiction interne qui voue à l’échec toute tentative conservatiste en Bretagne. L’explication en est simple. Il n’est pas un élément du patrimoine breton qui ne repose sur une structure française. Vouloir seulement conserver le patrimoine breton implique vouloir conserver les structures françaises sans lesquelles il perdrait toute assise. Or la raison d’être des structures françaises est la conservation du patrimoine français et par là l’élimination du patrimoine breton en tant qu’élément hétérogène.
La situation du peuple breton est telle que les entreprises qui normalement visent à conserver, tournent pour lui en processus de destruction. Les soldats bretons qui partaient « défendre le pays » ont, en fait, précipité l’effondrement de leur pays.
La même contradiction du conservatisme apparait dans tous les secteurs. Les paysans bretons se tournent vers Paris et exigent que l’économie française se solidarise avec l’économie bretonne en difficulté, alors que les intérêts des économies bretonne et française sont contradictoires, l’économie bretonne en étant arrivée à la ruine du fait de son inclusion dans l’économie française.
En vertu d’un même conservatisme politique, les prétendus porte-parole du peuple breton réclament pour lui une présence à part entière dans le cadre étatique français, alors que le cadre étatique français exige la dissolution dans la masse du peuple français des peuples allogènes qu’il contient. La contradiction interne du conservatisme est également flagrante lorsqu’il prétend maintenir le patrimoine social et culturel breton par le moyen de son intégration aux structures et aux institutions françaises.
Les dizaines de campagnes menées depuis un siècle pour introduire l’étude du breton dans les écoles françaises, l’activité folklorique visant à entretenir une atmosphère de particularisme régional, ont le même sens historique, sinon les mêmes vigueur et sincérité, que la Révolte des Bonnets Rouges et que les symptômes de la désarticulation dans le mouvement conservatiste. Attendre du roi de France qu’il se fit le champion des libertés de la Bretagne, demander à l’Education Nationale française de propager la culture bretonne, autant confier au loup le soin de protéger les agneaux parce que la brebis que l’on est est elle-même prisonnière du loup.
L’échec du mouvement conservatiste breton s’explique donc par son inadaptation aux conditions objectives, inadaptation qui s’explique à son tour par une contradiction interne de ce mouvement : il prétend combattre les effets de la désarticulation, mais il est lui-même profondément atteint par la désarticulation.
Les symptômes de la désarticulation dans le mouvement conservatiste
Cette désarticulation du mouvement conservatiste breton contemporain est évidente dans tous les sens le regard se porte. Ainsi existent parallèlement un « mouvement culturel » apolitique, un « mouvement politique » d’expression française, un « mouvement économiste » apolitique et aculturel ; ces mouvements se saluent de loin, exaltant les vertus de l’unité, mais subissent dans l’impuissance leur écartèlement de fait.
Un autre symptôme est la ségrégation mentale où se voit confinée l’action conservatiste bretonne : celle-ci est considérée comme une activité elle est culturelle ; comme l’inoffensive défense séparatiste si elle est politique agressive ; comme un effort louable et désuet de promotion d’un terroir si elle est politique modérée ; comme s’inscrivant parmi les solutions économiques françaises si elle est économiste ; dans tous les cas et quelque soit le domaine en cause, cette action conservatiste est conçue comme un phénomène marginal français, en rapport direct avec une arriération provinciale marquée et qu’il faudra bien liquider un jour.
Notons l’importance du « phénomène d’écho » dans la dynamique de ce mouvement conservatiste ; et ce paradoxe : plus l’action est conservatiste et plus elle souffre de mimétisme à l’égard des forces auxquelles elle prétend résister. Ainsi les écrivains qui se posaient en défenseurs de la langue bretonne mettaient-ils leur orgueil dans leurs traductions du fabuliste LA FONTAINE. Ainsi pendant longtemps le mouvement politique chercha-t-il ses modèles dans les courants étrangers que ce soit par le flirt nationaliste à la MAURRAS (J. P. CALOC’H), le national-socialisme (la revue Stur), la solution quasi-magique d’un fédéralisme européen ou plus simplement le réformisme de la régionalisation.
Au niveau des finalités nous retrouvons cette incohérence qui découle de la contradiction interne du mouvement conservatiste breton : celui-ci veut conserver vivante la Bretagne, mais en même temps veut conserver tout ce qui constitue « la Bretagne de fait », y compris les contradictions, les incohérences et les désarticulations. La France « est » en Bretagne, il se déclare donc Breton et Français ou Français et Breton selon sa nuance, quand ce n’est pas deux fois Français parce que Breton.
Une fraction sociologique et géographique de la Bretagne parle les vernaculaires celtiques ; l’autre fraction est de langue française: il s’agit-là d’un état de fait à perpétuer. Dans le domaine économique, le conservatisme parle de « vocation agricole, de « vocation touristique » de la Bretagne, le sous-développement lui-même, parce qu’étant “breton”, devant être maintenu et aménagé.
3.La révolution bretonne
La révolution, remaniement complet de la société ordonné à une finalité politique cohérente, s’est lentement mise en route en Bretagne au 20ème siècle. Pendant des années, son feu sporadique s’est montré ici et là, enflammant l’esprit de tout peuple, la langue. La révolution bretonne a eu ses prophètes, tel Tangi MALMANCHE qui écrivait au début du siècle : « Bretons, ne parlez pas tant de la vieille langue de vos pères et parlez davantage du patois nouveau de vos enfants.
Elle a eu ses précurseurs, tel Fransez VALLEE qui, parti pour recueillir les richesses éparses dans les vernaculaires, créa le breton moderne ; tel Roparz HEMON qui, rompant ouvertement avec le conservatisme culturel, entrepit de créer une littérature nationale et qui y réussit, balayant du même coup l’amas de platitudes provinciales qui tenait lieu jusque là de littérature bretonne ; tel Meven MODIERN qui, plaçant d’emblée le breton dans le rang des grandes langues de civilisation, commença la publication de travaux scientifiques en langue bretonne. Il ne s’agissait plus de conserver une Bretagne de fait dans sa dislocation, mais de créer une Bretagne unie et elle-même créatrice. Ce qui est conservé ne l’est pas en raison de son appartenance à la Bretagne de fait, mais en raison d’une finalité qui est la constitution d’une communauté bretonne nouvelle. On a décrit l’émergence de cette attitude nouvelle en Bretagne sous le nom de « renversement révolutionnaire » : cesser de scruter le passé pour maintenir le présent à son image, mais ressaisir les ressources bretonnes anciennes et nouvelles et par elles se forger en peuple neuf sans égard pour un passé fourvoyé ni pour un présent sans issue.
Cette attitude révolutionnaire apparue d’abord dans les domaines de l’action culturelle ne tarda pas à gagner les domaines de l’action politique et sociale. Si dans les années 1920 on parle encore de régionalisme en demandant pour la Bretagne un statut de province autonome dans le cadre de l’Etat français, on assiste dans la décennie suivante à une clarification des concepts et des objectifs, à une recherche de cohérence, et à peu se dégage un but précis : la politique bretonne indépendante, c’est-à-dire création de l’Etat breton.
Il importe de noter la différence d’attitude qui existe entre révolutionnaires et conservatistes. Les conservatistes s’efforcent d’opérer la coordination d’une masse brute de faits hétéroclites dont le mouvement les contrarie et leur échappe : le bon sens, disent-ils, nous enjoint de reconnaître que la Bretagne est dépendante de la France, que les deux tiers de ses habitants ne pratiquent pas le breton,etc. ; mais s’ils acceptent ces faits comme inéluctables, ils refusent de voir les conséquences de leur acceptation, à savoir la mort du breton et de la Bretagne, ils quittent le domaine du bon sens pour celui du rêve et imaginent qu’en dépit des apparences tout va s’arranger pour finir, d’une façon ou de l’autre, — par exemple que le pouvoir français va soudainement se repentir et ressusciter cette Bretagne qu’il cherche depuis des siècles à supprimer. A la coordination par le rêve de faits incompatibles, les révolutionnaires substituent la coordination par l’action : l’action, créatrice et destructrice, accorde aux faits l’importance qu’elle entend leur donner dans sa propre finalité. Ils tiennent tout à fait compte de la situation que les conservatistes, — sans pouvoir l’avouer, — jugent désespérée. La force qui domine la Bretagne et la mène à l’assimilation et à la ruine est énorme ; la force bretonne qui résiste en fait à cette force d’assimilation est infime. La seule conclusion est que le rapport de ces forces doit être renversé et que pour cela un immense travail doit être accompli en Bretagne.
La théorie révolution bretonne
La théorie de la révolution bretonne n’est autre que la théorie de cet immense travail pour accroître la force politique du peuple breton afin, non seulement qu’il détruise la force opprimante, mais surtout qu’il prenne une place libre et créatrice dans le monde. Quel visage a le travail révolutionnaire breton en cette fin du troisième quart du vingtième siècle ? Sa définition la plus simple est celle de ses trois objectifs, qui sont :
- faire du capital historique breton la propriété effective du le breton ;
- constituer une société bretonne nouvelle sur la base de cette appropriation ;
- bâtir les cadres politiques de cette société nouvelle
Le mouvement révolutionnaire breton, l’Emsav comme il se nomme lui-même, s’attache à définir avec clarté chacune de ses positions, chacun de ses objectifs, chacune de ses démarches.
Le concept de capital historique
Le concept de capital historique est l’un de ceux que l’Emsav a défini avec le plus de précision. Est un capital, comme on sait, une production reprise comme facteur d’une production nouvelle — par exemple une machine d’abord produite, servant ensuite à produire à son tour. La pensée bretonne a généralisé ce concept de capital à toute production humaine, qu’elle soit économique, sociale, culturelle ou plitique ; qu’elle soit industrie ou politique, technique ou langage, art ou spiritualité, toute production humaine est d’abord objet puis facteur de création.
Cette définition plus complète fait ressortir un caractère qui apparait à peine quand il s’agit du capital strictement économique, c’est l’historicité. Une civilisation progresse lorsque les créations d’aujourd’hui peuvent faire fond sur les créations d’hier. Un peuple se « produit » par ses « productions » au long des siècles, et cette reprise continue des productions antérieures comme capital des productions actuelles et futures lui donne une unité dans le temps qui est le fondement même de sa réalité de peuple. Ceci est vérifiable dans le domaine de sa langue, de sa culture, de sa société, de sa politique : l’histoire d’un peuple est celle de sa production au sens plein du mot. D’où le concept de capital historique. Ce concept de capital historique est important pour traiter deux ordres de problèmes : celui de la culture et de ses fonctions dans la vie d’un peuple, celui des moyens de production tel qu’il se trouve posé par cette généralisation du concept de capital.
L’appropriation du capital historique
Comment se présente dans la pratique l’appropriation par le peuple breton du capital historique breton ? Il s’agit non pas tant de porter la civilisation bretonne à la connaissance des Bretons, encore moins d’opérer le retour en arrière des conservatistes vers le passé, — que de remettre en forme la vie des Bretons d’aujourd’hui de telle sorte que leur civilisation passée y trouve sa juste place comme capital historique. Cette remise en forme implique ce que l’Emsav appelle la « révolution individuelle » : éclatement de l’ancienne forme vie et reconstruction d’une nouvelle existence fondée dans l’Emsav — considéré de ce fait comme le germe d’une nouvelle société bretonne et en même temps d’une nouvelle civilisation bretonne.
Ailleurs sera analysée cette ancienne forme de vie dont il est question de faire table rase ; il sera montré comment, résultant de la désarticulation sociale et culturelle. Là est la raison pour laquelle l’Emsav s’est attaché avec tant d’insistance à créer les organismes d’enseignement et de formation permettant aux Bretons de s’approprier leur langue.
L’une des thèses de l’Emsav est qu’il n’y a pas de révolution bretonne de langue française. La langue bretonne est la base de réunification de la société bretonne. De même que le français fut l’outil de la désarticulation, le breton est entre les mains de l’Emsav est le premier outil de la réarticulation. Il était confiné au secteur primaire et au monde rural ; l’Emsav le rend à la société entière, première condition d’une réarticulation sociale. Il reculait derrière le rideau qui coupe en deux le pays, les communes, les familles ; l’Emsav lui rend sa puissance expansive, premier pas de la réarticulation ethnique. II s’identifiait à ce passé mort et débilitant que traine en lui le peuple breton ; en refaisant du breton de langue des Bretons, l’Emsav transmue ce passé en capital historique et amorce la réarticulation historique du peuple breton.
Constituer une société bretonne nouvelle
La constitution d’une société bretonne nouvelle [objectif collectif], second objectif de l’Emsav, est la conséquence logique du premier [objectif individuel]. A la mise en forme d’une vie sociale réenracinée et réarticulée correspond la mise en place d’une société nouvelle. L’Emsaver, en accomplissant sa révolution individuelle, se met d’une certaine façon en dehors de la société artificiellement tenue par les cadres étatiques français et il est disponible pour la nouvelle société dont il est le germe. Voila pourquoi les groupes locaux de l’Emsav sont bien davantage que les sections d’un parti politique. Comment l’Emsav prévoit-il l’organisation de la société bretonne ? Il ne préjuge évidemment pas des formes concrètes de cette organisation : son rôle est de fonder la société bretonne nouvelle sur l’appropriation par le peuple breton de son capital historique.
D’autre part, la pensée politique de l’Emsav fait partie intégrante d’un capital historique, elle progresse avec lui, s’enracinant avec lui dans l’histoire du peuple breton et se développant avec lui ; s’enracinant aussi au delà de l’histoire bretonne, dans l’histoire humaine. L’Emsav, étant un mouvement libérateur, fait des autres mouvements libérateurs de l’histoire humaine son capital historique : il est de la même veine que les autres révolutions libératrices de classes et de peuples opprimés.
Si la pensée de l’Emsav reste ouverte, elle n’en est pas moins précise et sur les points dont s’inquiètent précisément ceux qui s’interrogent à propos de socialisme et de capitalisme. L’Emsav par sa conception plus radicale du capital est en mesure de résoudre certaines difficultés théoriques et pratique — la question nationale particulièrement qui n’a jamais pu trouver une expression satisfaisante dans systèmes et les régimes socialistes. A partir du moment où le capital strictement économique se trouve intégré au capital historique, non seulement les rapports de propriété, mais le concept même de propriété sont profondément transformés. En plus, la propriété collective des moyens de production y trouve un statut théorique que ne pouvait lui donner une théorie du capital se cantonnant dans le domaine économique : la production humaine, au sens complet et où l’entend l’Emsav, n’est jamais le fait de représentants individuels d’une humanité abstraite et sans contours historiques ; elle est toujours le fait de peuples en tant que réalités concrètes et historiques, c’est-à-dire de communautés sociales possédant une existence historique et par là une civilisation.
Dès que l’on donne aux moyens de production économiques le même statut qu’aux moyens de production sociaux, politiques, culturels, spirituels, on définit par le fait un esprit nouveau de propriété. Le peuple est propriétaire de sa terre et de ses capitaux économiques dans le même esprit qu’il est propriétaire du capital national que constituent sa langue et sa civilisation. En cela, l’Emsav ignore l’antagonisme que les marxistes éprouvent comme insoluble entre le socialisme et le fait national.
Bâtir les cadres politiques de la société bretonne nouvelle
Le troisième objectif de l’Emsav, la constitution d’un Etat breton, vient en corollaire des deux autres. La société bretonne nouvelle trouvera sa plénitude en devenant une société politique maîtresse de son destin et prenant part de plein droit aussi à la vie politique internationale. Là aussi, l’Emsav est entré dans la voie des réalisations , donnant répondant concret à sa théorie. Parallèlement au développement de la société bretonne nouvelle, il crée les structures organiques dont a besoin cette société naissante (administration, éducation, impôts, etc.), et qui sont en même temps l’embryon des futures structure étatiques.
Le rôle de l’Emsav est donc parfaitement clair : rendre au peuple breton unité et lui donner la propriété de son capital historique comme de son économie, le conduire à une place créatrice parmi les nations en lui gardant son rang dans le peloton de tête des mouvements libérateurs.
Source : Emsav Stadel Breizh, données socio-historiques de l’Emsav (1969)
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