Éditorial publié dans le média STOURM!
L’Emsav est aujourd’hui dans une impasse au point d’avoir atteint un état de catalepsie avancé. Au bouillonnement intellectuel du 19ème et 20ème siècles, le 21ème siècle n’a, à ce stade, rien produit ou presque qui soit notable, et encore moins utile à la cause nationale. On ne voit agir sur les esprits aucune figure intellectuelle de premier plan là où, il y a un siècle, on les comptait par dizaines chez les écrivains, journalistes ou artistes bretons. L’activisme politique connaît la même léthargie, engourdi par un embourgeoisement et un vieillissement manifestes, en plus de l’influence délétère du régionalisme incapacitant. En d’autres termes, la Bretagne est dans une désastreuse complaisance vis-à-vis d’elle-même.
Des symptômes récents en témoignent encore. Malgré le dévouement de ses membres, les effectifs de Diwan stagnent tandis que sa situation financière est plus précaire que jamais. En dépit de la demande populaire, l’État français peut saboter les ouvertures de classes bilingues sans craindre de mobilisation réelle en réaction, rendant illusoire l’objectif de 30,000 scolarisés en langue bretonne d’ici à 2027. Le paysage médiatique, qu’il s’agisse de la presse écrite ou audiovisuelle, est un désert et ce n’est pas la pitoyable production de “France 3 Bretagne” qui serait de nature à infirmer ce constat. La Coop Breizh, maison d’éditions historique, a annoncé cette semaine être en cessation de paiement. Enfin, la mobilisation de diverses associations bretonnes pour la protection de la toponymie bretonne ne reçoit à cette heure aucun soutien notable de la part du Conseil “Régional” de Bretagne.
L’absence d’énergie, de volonté et d’audace frappe l’observateur. Cette déréliction a plusieurs causes. En premier lieu, il s’agit des résultats objectifs de la francisation brutale et systématique que poursuit encore l’État français au 21ème siècle, notamment par le biais de son école et de ses médias. En second lieu, le vieillissement démographique de la Bretagne, engendré par l’effondrement de la natalité et l’émigration, accouche d’un paysage politique et culturel sclérosé, voire sénile, qui ne sait que ressasser des indignations de plus en plus éloignées de l’Emsav. Enfin, la dérive politique vers la gauche du mouvement culturel, entamée dans les années 1960 avec la subversion de l’Emsav par des éléments marxistes, a mécaniquement prédisposé les intellectuels et militants bretons à se laisser absorber par la gauche hexagonale sous l’action du Parti Socialiste français et de son art de caporaliser par l’usage de la subvention publique. Cette vassalisation indirecte par l’État français via sa gauche politique s’est concrétisée en 2004 après la victoire de Jean-Yves Le Drian aux élections “régionales”, avant d’être confirmée en 2017 par celle de Loïg Chesnais-Girard. Si la gauche “bretonne” a indubitablement été activiste et productive, elle a cherché à dévoyer l’Emsav, infectant l’âme bretonne des conceptions égalitaires de la révolution française. Cette trahison se paie aujourd’hui au prix fort.
Le mouvement nationaliste a été durablement affaibli par la création de partis de gauche, par définition poreux aux idées françaises, à l’instar de l’UDB dans les années 1960, puis d’Emgann dans les années 1980, mouvement marxiste-indépendantiste que Gaël Roblin, sa figure la plus détestable, a mené à la disparition au début des années 2000. Malgré l’action de POBL (Parti pour l’Organisation d’une Bretagne Libre) et d’Adsav!, le nationalisme breton n’est pas parvenu dans le premier quart du 21ème siècle à maintenir une structure solide, disciplinée, dotée de cadres compétents et dynamiques en mesure d’enraciner l’Emsav dans une partie des masses, notamment électoralement et culturellement. La formation du Parti National Breton, au début de l’année 2022, marque une opposition consciente à cette tendance générale. En dépit des puissants obstacles cités précédemment, il s’agit non seulement de maintenir le nationalisme breton dans le paysage politique de la Bretagne, mais aussi de stopper la catastrophique régression régionaliste incarnée tantôt par l’UDB, tantôt par le Parti Breton au plan politique, et par diverses associations qui leur sont associées au plan social ou culturel. Pour le PNB, présenter ses premiers candidats aux élections, peu importe lesquelles, sera indubitablement un moment essentiel de cet effort pour le maintien de l’Emsav dans une Bretagne politiquement moribonde.
Cette rupture est d’autant plus nécessaire que les limites du paradigme du Troisième Emsav sont atteintes. Si le premier Emsav a éveillé la conscience nationale bretonne par un travail d’avant-garde, que le second Emsav a créé les outils de la modernisation indispensable à la nation bretonne et que le troisième Emsav a massifié cette modernisation par l’action culturelle, le quatrième Emsav se doit d’être pleinement étatique et d’avancer vers l’État breton à un moment de crise décisive pour l’État français tel qu’il existe depuis 1789. C’est dans une phase d’accélération historique que les revirements les plus puissants ont lieu. Le PNB doit agréger les Bretons qui réalisent que l’État breton est la seule alternative à la déchéance terminale de la France et faire d’eux une force politique unifiée. Le Parti National Breton, comme instrument du nationalisme breton, doit se faire respecter et apprendre à ceux qui voudraient perpétuer le sectarisme de gauche à l’égard des nationalistes que cet exercice entraînera systématiquement une riposte, immédiate et frontale. Cette affirmation sans concession est la clef de l’émergence du nationalisme breton sur les ruines des idées françaises et de leurs facilitateurs en Bretagne.
Ewen Broc’han