Ephéméride national breton : 18 avril 1675, début de la révolution des Bonnets Rouges

Ephéméride national breton : 18 avril 1675, début de la révolution des Bonnets Rouges

[ISTOR BREIZH] Le 18 avril 1675 une violente révolte populaire éclate à Rennes contre la mise en place en Bretagne du monopole de la production et de la vente du tabac au profit du roi de France. Cette révolte rennaise débouche rapidement sur une remise en cause de tous les coups de force fiscaux récemment imposées par la France à la Bretagne pour financer la guerre française contre la Hollande (1672-1678), en particulier la taxe sur le papier timbré.

La Bretagne, bien qu’annexée illégalement au siècle précédent, dispose d’une large autonomie intérieure, notamment fiscale, ce que les insurgés bretons entendent défendre coûte que coûte face à l’impérialisme français. L’impérialisme français déchaîné contre l’Europe a instauré un embargo commercial qui ravage l’économie maritime bretonne, pays d’exportation riche et dynamique. La Bretagne sombre alors dans un cycle d’appauvrissement général qui ne prend fin qu’au 20e siècle. La continentalisation que lui impose Paris reste la règle au 21e siècle, avec un sous-développement maritime contraire à ses aspirations, ses intérêts, sa culture et sa géographie.

Dans les jours suivant la révolte rennaise, celle-ci gagne Saint-Malo (19 avril), Nantes (22 avril, 3 mai) et Guingamp (20 mai). Partout, les Bretons réclament le même régime qu’à Bordeaux, en France, où, après trois journées insurrectionnelles (27-29 mars), l’Etat français a accepté de retirer divers impôts.

Craignant une contagion en France, Louis XIV décide de passer en force et d’écraser la Bretagne révoltée qu’il entend saigner à blanc. L’envoi de troupes en Bretagne est décidé début mai pour punir les patriotes bretons révoltés contre l’arbitraire français. Les séides coloniaux de Paris sur place prennent l’initiative de terroriser la population bretonne. Un homme est pendu à Nantes, ainsi qu’une femme à Guingamp. A Rennes, qui a connu une reprise des troubles (le 25 avril), l’arrivée d’une centaine de soudards français, le 8 juin, provoque une nouvelle vague révolutionnaire de défense des droits de la ville.

Les mercenaires français sont obligés de repartir et les autorités coloniales représentées par le gouverneur français en Bretagne occupée, le duc de Chaulnes, doivent rendre aux patriotes bretons les prisonniers faits les semaines précédentes. Chaulnes, humilié, ne parvient à ramener le calme que contre des promesses que les soldats français ne reviendront pas en Bretagne et d’accomodements fiscaux. La ville reste néanmoins agitée et le bureau du papier timbré est à nouveau attaqué le 17 juillet. La Française Sévigné parle de l’exécution de l’un des révoltés, Daligault :

Daligault, ce pauvre ménétrier, « qui avait commence la danse et la pillerie du papier timbré », le 17 juillet précédent, commença aussi cette danse funèbre. Comme c’était le premier supplice, on voulut qu’il jetât dans le cœur du peuple une profonde impression d’horreur et d’effroi : aussi, le corps du patient à peine détaché de la roue fut coupé en quatre quartiers, et ces quartiers exposés sur des poteaux dressés à cet effet aux quatre coins de la ville, c’est à dire, à la Magdeleine, au Bourg-l’Evêque, au bout de la rue Haute et à celui de la rue Hux (Relation de Morel). Daligault, quoique mis à la question, ne dénonça aucun complice ; toutefois, il dit en mourant que c’étaient les fermiers du papier timbré qui lui avaient donné vingt-cinq écus pour commencer la sédition ; et jamais on n’a pu en tirer autre chose » (Lettre de Mme de Sévigné, du 30 octobre 1675).

Dans le même temps, la contestation gagne les campagnes de Cornouaille. Le mouvement gagne le Léon, le Trégor et le Vannetais. Ceux que l’on appellera bientôt « les bonnets rouges » s’en prennent comme en ville aux nouveaux impôts décrétés par la tyrannie française et profitent en outre du rapport de force favorable pour obtenir des seigneurs des aménagements de rentes. Quelques châteaux et presbytères sont pillés. Le 2 juillet, les révoltés du pays bigouden proclament l’abolition des impôts nouveaux et des abus seigneuriaux dans un texte resté célèbre sous le nom de « code paysan » dans lequel la défense des libertés nationales de la Bretagne sont affirmées avec force.

Vers Carhaix, l’attaque du puissant château de Kergoët en Saint-Hernin (11 juillet) provoque un choc chez les autorités coloniales françaises qui espéraient jusque-là de temporiser. C’est alors que le représentant colonial Chaulnes demande à Louis XIV l’envoi de troupes françaises pour semer la terreur en Bretagne. Dans le même temps, des députés bretons sont signalés à La Haye, aux Pays-Bas, pour nouer une alliance entre les nations bretonne et hollandaise contre l’impérialisme français. Pour prévenir une possible intervention militaire hollandaise destinée à libérer la Bretagne occupée, environ 5 000 soudards français sont dépêchés pour attaquer les Bretons.

Le notaire Sebastian Ar Balp, chef du groupe des insurgés de Carhaix, songe à affronter l’envahisseur français, mais il est assassiné par un laquais du pouvoir féodal français. Les soudards venus de France ne rencontrent pas de « bonnets rouges », qui préfèrent se disperser. Le corps d’Ar Balp est exhumé pour être supplicié. Des clochers du pays bigouden sont détruits pour avoir sonné le tocsin dès le début de la révolte. La Française Sévigné, présente en Bretagne, raconte les scènes d’exécutions de masse que commettent les troupes françaises venues écraser les Bretons.

Nos pauvres bas Bretons, à ce que je viens d’apprendre, s’attroupent quarante, cinquante par les champs, et dès qu’ils voient des soldats, ils se jettent à genoux et disent mea culpa : c’est le seul mot de français qu’ils sachent, comme nos Français qui disaient qu’en Allemagne on ne disait pas un mot de latin à la messe, que Kyrie eleison. On ne laisse pas de pendre ces pauvres bas Bretons. Ils demandent à boire et du tabac, et qu’on les dépêche. 

La révolte bretonne présentait toutes les caractéristiques d’une révolution nationale. Paysans et bourgeois étaient unis dans la volonté de renverser les structures du pouvoir royal français qui s’appuyait sur une classe féodale particulièrement féroce. Les codes paysans commencent à articuler un véritable programme politique dont la dimension nationale est sous-jacente. Les Bretons déploient des efforts en direction des Pays-Bas, nation en guerre contre l’impérialisme français. Hélas, faute d’une organisation révolutionnaire, cette révolte ne parvient pas à se structurer en révolution et à s’armer pour une confrontation de longue durée contre l’occupant français. 

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